La réinsertion des personnes incarcérées, a souffert dans
notre pays, des réformes successives de l’Etat qui ont eu pour effet de
disperser les compétences respectives, en matière de gestion de la peine, d’aide
aux détenus, d’éducation en prison au sens large (enseignement, formation,
culture), d’aide sociale aux justiciables et celles qui régissent le
dispositif d’insertion socioprofessionnel proprement dit.
Cet état de choses se répercute sur le plan institutionnel dans la
difficulté de construire une politique cohérente impliquant les différents niveaux de pouvoir
mais également sur la qualité et la quantité des prestations qui peuvent être
offertes sur le terrain aux justiciables, à différents stades de leur parcours.
Une nouvelle étape est en train de se jouer avec le nouveau transfert, au 1° juillet, de l'aide aux justiciables qui passe de la Région Wallonne où elle avait pris place dans la politique sociale, à la Fédération Wallonie Bruxelles où elle devrait être intégrée dans un nouveau département (communautaire) de la Justice. Ce transfert suscite bien des inquiétudes de la part des associations concernées mais comporte peut-être des opportunités pour le futur.
A charge de la Communauté française depuis 1989, l'aide aux justiciables s'est trouvée scindée, en 2001 en trois entités. A l'expérience, un certain nombre d’incohérences résultant de la séparation entre les missions d’aide sociale aux justiciables, devenues régionales et celles d’aide aux détenus, restées communautaires ont été pointées par les associations chargées de ces missions. Un état des lieux du secteur a mis en évidence que l’éparpillement des actions menées à l’égard des justiciables, entre de multiples catégories d’agréments et un grand nombre d’opérateurs, avait pour conséquence des chevauchements mais aussi des failles dans le dispositif et des solutions de continuité dans le parcours de la personne incarcérée puis libérée (1) .
Plus récemment, une recherche menée par le Relais social de
Charleroi sur le phénomène du sans-abrisme a interpellé les autorités régionales
en montrant qu’une des causes du phénomène se trouvait dans les difficultés et
les besoins non couverts des personnes remises en liberté après une détention (2).
Les services agréés sont conscients de l’enjeu d’une meilleure
transition entre l’aide offerte pendant la détention et celle qui peut être
proposée aux personnes libérées. Le
durcissement des conditions de libération anticipée a toutefois pour effet
d’allonger sensiblement la période préparatoire pendant laquelle les personnes,
toujours considérées comme détenues du point de vue légal, sont amenées à
effectuer des démarches sociales et administratives voire à entamer un suivi
psychologique auprès d’un service ambulatoire, dans le cadre de mesures telles
que des permissions de sortie, de congés et, de plus en plus souvent, d’une
mise sous surveillance électronique. La prise en charge de ce public au sein des Services d’aide aux justiciables serait de nature à amorcer efficacement la suite de leur parcours d’insertion mais
elle ne peut aujourd’hui être financée sur base de la réglementation existante.
Dès 2007, le programme Tircis Tremplin pour l'insertion a fait de cette articulation un de ses objectifs opérationnels : c'est ainsi, par exemple, que des permanences psychologiques ambulatoires ont été organisées pour des permissionnaires et autres bénéficiaires de congés. Une procédure de reprise de contact a également été mise en place pour les anciens stagiaires de formations qui ont bénéficié d'une guidance d'insertion.On se souviendra que l'ASBL Aide et Reclassement a lancé, en 2012, un programme d’échange de bonnes pratiques avec l’ASBL Trempoline qui faisait également partie du même portefeuille de projets et un panel d’associations bénéficiant d' une expérience en matière de formation sociale . Sous le titre « Interface Formation Insertion », ce programme d’échanges a récemment débouché sur un rapport final qui peut être consulté sur le site du projet (3).
Les
partenaires du projet ont tenu à
y souligner la nécessité d’un dispositif coordonné. Les services d’aide aux
détenus sont appelés à jouer un rôle structurant du dispositif non seulement au
plan organisationnel mais également par leur contribution à l’élaboration du
plan de réinsertion des détenus qu’ils prennent en charge. Leur nouvelle mission de coordination locale
les habilite à jouer un rôle privilégié d’interface dans l’encadrement du
parcours d’insertion de la personne incarcérée.
Il y a lieu d’établir de réelles connexions entre tous les acteurs
(internes et externes) concernés par la réinsertion, pour réussir un travail en
profondeur. Cette dimension devrait
avoir une place entière dans les organes de concertation prévus par les
nouveaux accords de coopération (4). L’analyse comparée des pratiques de formation sociale en prison et dans une
structure intermédiaire pour toxicomanes (le service réinsertion de l’ASBL Trempoline),
suggère en outre l’opportunité de passerelles systématiques avec les opérateurs
d’insertion (SASJ, EFT, Régies, etc.) permettant à la personne libérée un
encadrement plus soutenu pour construire et mettre en œuvre un projet d’insertion
réaliste et durable.
L'équipe d'Aide et Reclassement a puisé dans ces recommandations, un certain nombre d’éléments structurants pour un
portefeuille de projets « inclusion sociale des personnes fragilisées » en réponse au nouvel appel à projets du Fonds social européen. Nous aurons l'occasion d'en reparler prochainement.
Entretemps, certaines intentions formulées dans le contexte du transfert et, plus récemment, lors de la déclaration de politique communautaire laissent entrevoir un espace pour de telles préoccupations dans la future politique du Gouvernement de la FWB, même si l'arrière fond de rigueur voire de rationalisation budgétaire ne permet pas trop d'optimisme.
(1) Etat des lieux du secteur de l’aide sociale
aux justiciables en Région Wallonne, Commission consultative wallonne de l’aide
sociale aux justiciables 2008, 65p.
Entretemps, certaines intentions formulées dans le contexte du transfert et, plus récemment, lors de la déclaration de politique communautaire laissent entrevoir un espace pour de telles préoccupations dans la future politique du Gouvernement de la FWB, même si l'arrière fond de rigueur voire de rationalisation budgétaire ne permet pas trop d'optimisme.
(2)Rapport de l’étude réalisée par LELUBRE, Marjorie, chercheuse au Relais social de Charleroi,
2008.
(3) Le projet Interface
Formation Insertion en prison : bilan d’un échange de bonnes pratiques,
ASBL Aide et Reclassement, décembre 2013, 68 p.
http://www.interfaceformationinsertion.be/
http://www.interfaceformationinsertion.be/
(4)Accord de coopération entre l'Etat fédéral, la Communauté française et la
Région wallonne en vue de créer une politique carcérale cohérente dans le
respect des compétences des entités fédérées et de l’autorité fédérale. Signé
le 23/5/2014.
Daniel Martin
Coordinateur Aide et Reclassement
+ 30 ans au services des justiciables